Les collines

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Le miroir bombé faisait onduler la vision. Les collines, que je savais pentues, devinrent des miches voluptueuses, couvertes de velours vert vif, foncèrent et virèrent au mordoré. Puis les boules de coton vertes des arbres explosèrent et laissèrent place à des squelettes sombres qui se détachaient sur la neige fraîche. D’activités humaines, pas de traces, que la pousse accélérée du blé et la trace persistante des chemins.

Aleph continuait son hallucinante danse digitale, cherchant dans le temps un repère imperceptible. L’image fluide, vivante, ralentit, perdant de sa luminosité. Les doigts se stabilisèrent à un rythme perceptible et se figèrent, tordus dans une pose impossible.

Les collines étaient creusées de rides comme un pruneau desséché. Totalement dépouillées de leur manteau végétal, elles avaient perdu leur peau de terre et les os de calcaire blanc perçaient leur chair lavée par la pluie. Stériles, mortes.

Du coin de l’œil, je captais un flottement de doigts fantômes et la vision s’anima à rebours. La boue remonta les pentes, les feuilles s’envolèrent et se rattachèrent aux branches, les saisons passaient à rebours, à un rythme assez lent pour percevoir l’alternance du jour et de la nuit en un clignotement douloureux qui me vrillait lentement la cervelle. Ne pouvant plus supporter l’infernal stroboscope je détournais les yeux, quand Aleph poussa un soupir exaspéré et dissipa la vision d’un geste brusque.

– Je n’y arriverai pas ainsi ! Quelle que soit la cause de ce désastre, elle se trouve ailleurs et je ne connais pas suffisamment l’hydrologie de la région pour savoir où chercher !

– Je ne comprends pas, fis-je timidement. Vous pensez que la sécheresse est le résultat d’un sort ?

– Évidemment ! explosa-t-elle, quoi d’autre ?

– Pourquoi vous n’utilisez pas votre sort de recherche de traces magiques là ? En le combinant avec votre sort de vision temporelle ça devrait aller vite non ?

Elle me regarda comme s’il venait de me pousser des cornes, claqua des doigts et la carte s’illumina d’un réseau de fils lumineux qui représentaient les traces de sorts lancés dans la région. Puis elle entama la danse complexe du sort temporel et les fils se mirent à se tortiller comme des serpents fous. Une zone sombre apparut et s’étendit soudain, jusqu’à recouvrir toute la carte. Aleph poussa un cri de triomphe, rembobina son sort lentement jusqu’à trouver l’origine de la tache. Elle zooma simplement en se penchant en avant et le fautif apparut enfin.

– Je te tiens ! fit Aleph et d’un pas en avant entra dans le temps.

Je maintins la vision tant bien que mal mais je n’avais pas eu le temps d’attraper tous les fils et le sort s’effilocha rapidement en volutes de brume. Il ne me restait plus qu’à attendre le retour de mon professeur.


Ecrit au Musée de l’Orangerie, le 04 décembre 2016, avec Sabachan et Thierry.

L’exposition «la peinture américaine des années 30» m’a rappelé les illustrations de cette «Belles Histoires» sur le pays des Drinns.

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