Le déluge

Le déluge, Jean-Baptiste Regnault

En des temps anciens et reculés, Mieux-Aimés, vivait une famille tout à fait ordinaire et heureuse. Bien sûr, aucune histoire ne raconte jamais comment on est heureux, ce qui fait, Mieux-Aimés, que les hommes savent tout du malheur mais ne peuvent pas reconnaître leur bonheur même quand il leur donne un coup sur le nez.
Cette famille n’était pas différente. Il y avait un homme, son épouse, le père de celle-ci et bientôt un petit enfant. Du moins c’est ce que le reste du village pensait. En vérité, il y avait là un homme qui paraissait plus que son âge car il avait été éprouvé. D’eux tous, il était le seul qui savait qu’ils étaient heureux. Il se nommait Beauté et les enfants et les jeunes gens se moquaient souvent de lui.  L’autre homme qui semblait plus jeune était son amant. Il s’appelait Force et personne ne se serait moqué de lui car il était en effet très fort physiquement. Il manquait seulement de force de caractère. La jeune femme était également l’amante de Beauté. Elle se nommait Désir et on murmurait beaucoup de choses à son sujet mais elle séduisait les femmes aussi bien que les hommes si bien que tous se trouvaient ensorcelés en sa présence et ils ne pouvaient se résoudre à lui nuire. Aucun d’entre eux ne savait qui était le père de l’enfant et peu leur importait. Malgré son âge, l’enfant n’avait pas de nom et on l’appelait seulement Bébé.
Les villageois ignoraient ces choses et ce n’était pas plus mal. C’étaient de braves gens mais ils n’aimaient pas beaucoup ce qu’ils ne comprenaient pas et comme ils pensaient que leur façon de vivre était la meilleure et en vérité la seule possible, ils ne comprenaient pas que d’Autres vivent Autrement. Ce qu’ils ne comprenaient pas leur faisait peur et ils cherchaient toujours à le détruire afin de ne plus avoir peur.
Il y avait dans le village une famille qu’ils aimaient beaucoup, celle de Noé. Noé commençait à être mal vu au village car il avait eu l’idée bizarre de construire un bateau immense où l’on aurait aisément fait entrer la moitié des maisons du village. Vous pouvez penser Mieux-Aimés que cela est tout à fait normal mais ce village là était très très loin de toute étendue d’eau navigable, tout ce qu’on y trouvait était un étang avec quelques carpes et beaucoup de moustiques aussi les villageois ne comprenaient pas ce que Noé voulait faire de son immense bateau, ils étaient inquiets et ils n’aimaient pas ça. Ils soupçonnaient que Noé était Autre et ils commencèrent à lui rendre la vie difficile.
Puis la pluie commença à tomber et ne s’arrêta plus. Les villageois comprirent vite que le bateau de Noé pouvait leur sauver la vie mais au lieu d’en être reconnaissants, ils eurent encore plus peur. Certains crurent que Noé était un sorcier. Après tout, comment avait-il fait pour savoir qu’il aurait besoin d’un bateau ? C’était Autre et c’était mauvais. D’autres pensèrent que Noé leur en voudrait d’avoir été méchants avec lui et qu’il refuserait de les sauver. Aucun d’entre eux ne se demanda pourquoi le bateau était si grand. Ils se réunirent en secret et décidèrent de tuer Noé pour lui voler son bateau.
Pendant ce temps, Noé avait commencé à préparer le sauvetage du village et il commença bien sûr par prévenir ses amis, Force, Beauté, Désir et son Bébé. Dès qu’ils se furent mis en route -sans prendre aucun bagage car ils n’avaient pas eu la même prévoyance que Noé malgré ses avertissements- dès qu’ils se furent mis en route donc, Noé partit prévenir le reste du village. Beauté Désir et Force se hâtèrent vers le bateau de Noé mais bientôt Beauté n’eut plus de forces et son amant qui n’en manquait pas le prit sur son dos, laissant Désir porter Bébé. Hélas, le flot turbulent charriait toutes sortes de débris, rendant la marche traître. Désir tomba, réussissant par miracle à se retourner dans sa chute. Elle atterrit douloureusement sur le dos, élevant Bébé au-dessus des flots mortels. C’est cela, Mieux-Aimés, que le peintre a voulu représenter. Il a ajouté leur maison au fond et aussi la main de quelqu’un qui s’est noyé déjà mais on ne sait pas qui c’est. Sans relâcher Beauté, Force vint secourir Désir. Il la souleva et la remit sur pied. Ils continuèrent péniblement et parvinrent au bateau sans plus d’inconvénients. Là, ils attendirent que Noé les rejoigne avec sa famille.
Noé malheureusement était tombé dans l’embuscade tendue par les villageois. Il leur avait expliqué la vérité, qu’il venait les chercher pour le sauver, convaincu qu’ils l’épargneraient. Certains le crurent mais ils eurent honte de lui avoir causé du tort et se turent. Les autres se moquèrent de lui, disant qu’il mentait pour sauver sa vie. Ensemble, ils le tuèrent et quand les membres de sa famille vinrent l’un après l’autre voir pourquoi il ne revenait pas, ils les tuèrent aussi. Tout cela avait pris beaucoup de temps et finalement l’eau avait bien trop monté pour que les villageois puissent arriver jusqu’au bateau.
Désir Force et Beauté attendirent en vain leurs amis et les villageois et lorsque l’eau souleva le bateau et l’emporta à la dérive, ils ne purent rien faire pour l’empêcher. Ils furent les seuls survivants de ce déluge mais ils s’assurèrent que leurs enfants sache que c’était Noé qui les avait sauvés en construisant le bateau.
Et c’est ainsi, Mieux-Aimés, que tout le monde aujourd’hui encore connaît l’histoire de Noé et du Déluge.

Dessin au bic par Saba-chan

J’inaugure ici une série que j’espère longue intitulée « L’atelier du Louvre » parce que sans grand mystère, j’écris un texte court en m’en inspirant d’une œuvre exposée au Louvre. C’est possible grâce à deux personnes que j’aime infiniment : Rise qui m’a offert le pass qui me permet d’entrer au Louvre quand l’envie m’en prend et Saba qui m’y a invité à notre premier rendez-vous et qui est mon partenaire lors de ces ateliers : il dessine, j’écris.

3 thoughts on “Le déluge

  1. Pourquoi cette histoire me plaît plus que « Lucius Verus » et « Héraclès » ? Sans doute parce que dans ce texte il y a des phrases qui me parlent « les hommes ne peuvent pas reconnaître….coup sur le nez » « ils ne comprennent pas que d’autres vivent autrement » mais surtout parce qu’il y a une progression : l’introduction assez générale puis la famille Noé,ensuite l’incompréhension qu génère l’inquiétude chez les villageois, le déluge la ligue contre Noé et enfin l’embuscade. Le récit montre des rebondissements, on a envie de savoir la suite et on ne s’attend pas à la fin, les seuls 3 survivants pour conclure tu as laissé libre cours à ton imagination et revisite l’histoire sans tabou avec un certain lâcher prise

  2. Que voilà un beau récit ! Merci beaucoup de me partager tes écrits. Je vais le laisser faire son chemin dans ma tete et j’y reviendrai plus tard… le temps de faire les correspondances entre ce que j’ai vu de prime abord dans ce tableau et l’histoire que tu as construite.

  3. Une fois partis dans leur bateau, ils jouèrent à pince-mi et pince-moi… Qui tomba à l’eau ?
    Votre folie est bien souriante. Continuez 🙂

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