Une belle journée pour mourir

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– Bonjour Madame.
La formule de politesse me serre la gorge. La journée s’annonce tendue.

– C’est elle qui a fait tous les gnons dans la carrosserie. Madame sait pas conduire.
La remarque sexiste creuse un sillon acide sur ma peau, s’insinue dans mes tripes, me dévaste le ventre.

Je veux m’enfuir en courant, retrouver ces heures douces où personne ne riait de mes compétences, où personne ne superposait de filtre déformant sur qui je suis vraiment. Déformer ma silhouette reforme vos perceptions et vous dites que ce est moi qui ne suis pas normal ? Que je n’existe pas parce que je fais partie d’une minorité que vous ne voulez pas vous donner la peine de comprendre ?

Je veux frapper, de rage, pour vous dire que j’existe, que je ne suis pas une femme juste parce que j’ai des seins, que j’ai honte parfois de faire partie de l’humanité, que la forme de mes organes génitaux ne vous regarde pas, n’a d’importance que pour mon médecin et les personnes avec qui je partage une sexualité, que je voudrais disparaître, n’être plus que virtualité, n’exister que comme l’esprit dans la machine, dont on se moque de savoir quel est son genre parce que connaître son opinion sur le nombre d’étoiles et le Petit Prince est bien plus intéressant.

Je voudrais être invisible, pour de vrai.

Ne m’appelez plus madame ni mademoiselle, ma chérie ni ma fille. Ne m’appelez pas monsieur non plus, pas encore peut-être. Appelez moi Alex, juste Alex, cher Alex s’il vous plaît, tendre Alex, mon enfant. Ne dites plus elle, dites il si vous pouvez, al (pronom neutre) s’il le faut. Al est bizarre sans doute à vos yeux, fantasque, un peu fol même. Faites donc cet effort de chercher votre vocabulaire, pour trouver ces mots neutres, épicènes, mixtes ou qui tout simplement se prononcent à l’identique quel que soit leur genre. Et si c’est impossible, alors genrez au masculin. Alex est agaçant avec ses lubies, mais il est tellement gentil !

Ne me demandez pas si c’est une passade, la crise de la quarantaine qui approche car il y a déjà quelques années que je grignote patiemment les miettes parsemées de mon identité éparse. Zèbre, polyamoureux, trans et d’autres choses encore sans doute, je suis mon chemin de petit Poucet. Je suis pas une fille, ce n’est plus depuis longtemps une question, pas plus que zèbre et poly ne l’ont été mais plutôt une évidence dès que les mots ont été prononcés.

Bonjour, je m’appelle Alex.


Merci à Raphaël.le pour son soutient sans faille, à Flore et à Meryem pour m’avoir ouvert les yeux, à Jena pour m’avoir rappelé mes fantasmes adolescents, à Yorris qui m’a entraîné dans sa danse et m’a présenté Vincent-Viktoria, Luka et touz ceusses de Bi’cause dont la simple existence me redonne espoir. Merci à Marco pour ce qu’il y a d’indicible qui nous lie serré serré malgré les frontières qui nous séparent et à Jean. Vous m’avez tous, chacun à votre manière fait faire un bout du chemin et il a été plus facile grâce à vous. (Partez pas hein, c’est pas fini!)

Par dessus tout, merci à Alex et Michael.

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3 thoughts on “Une belle journée pour mourir

  1. Tu es Al. Mais qui est Al ? Qu’es-tu, toi qui es en quête de quiétude ? (le jeu de mot doit être usé jusqu’à la corde, tant pis).

    Pour ce qui est du garagiste, je pense qu’il a raison dans son observation, mais il a tort dans sa conclusion. Avant qu’on hurle, je m’explique : le garagiste souffre d’un biais cognitif appelé biais du survivant.
    Petit bond en arrière entre 100 ans et 104 ans. Certains ont eu une idée monstrueuse pour « améliorer » la vie de nos poilus : mettre un bout de métal sur la tête. Ce bidule moyenâgeux faisait un mal de crâne épouvantable à nos bidasses. Des statistiques ont été faites et il s’est avéré que le nombre de blessures à la tête a littéralement explosé, confirmant les dires de nos soldats et l’incompétence de notre bureaucratie parisienne – déjà, à l’époque. Sauf que : en fait de blessure à la tête, il s’est avéré que les casques métalliques pouvaient dévier les balles allemandes et que le nombre de blessés supplémentaires correspondait au nombre de morts en moins. Avec un képi, une blessure par balle à la tête est tout simplement fatale.
    Retour en cette fin de 20ème siècle où le cliché est apparu : peut-être que si les conductrices rapportent au garage des voitures plus abimées, c’est qu’elles arrivent à les amener jusqu’au garage, elles. Est-ce que s’incruster dans un platane à 130 sur une route en ligne droite limitée à 80 avec 1,4g d’alcool dans le sang, c’est conduire mieux que de se cabosser pendant un créneau ?
    Si on rajoute l’effet placebo/nocebo qui marche aussi sur les voitures (ignorer les cabossages « masculins » et amplifier les « féminins »), plus un soupçon de proverbe Shadock, on assiste en direct à la naissance d’un bon gros cliché.
    Ha oui, et le garagiste a une mentalité de crotte, mais ça, c’est prégnant.

    1. C’est Alex en fait, al remplace le pronom il. Je suis pas fan du diminutif siouplé 😉
      Et je ressortirai l’explication au dit garagiste, bien que je sois certain de l’inutilité de la démarche pour son éducation personnelle…

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