La digue

This entry is part 1 of 1 in the series La Rochelle et Mélusine

Résumé: 1628, La Rochelle est assiégée par les troupes royales commandées par Richelieu. Ce dernier refuse de croire les légendes locales.

Notes de l’auteur: Écrit sur place.


Les rapports des éclaireurs restaient désespérément vides d’informations utiles. La ville s’était fermée comme une huître à l’approche de l’armée et je n’avait plus de nouvelles des quelques hommes qui étaient parvenus à s’infiltrer à l’intérieur avant la fermeture des portes. Découverts, morts de faim ou simplement incapables de faire sortir des messages, il m’était impossible d’en avoir la certitude.

Tout ce que j’avais, c’était un tas de superstitions ridicules sur le dragon qui hantait les lieux. Ou plutôt la vouivre, si tant est qu’une telle chose existe, ce dont je n’était pas convaincu. La rumeur prétendait qu’elle était moins active l’hiver, ralentie par le froid, mais aussi qu’elle pouvait nager aussi bien qu’elle volait et qu’elle crachait du venin ou du feu et une dizaine d’autres substances improbables. J’avais même entendu une version ridicule parlant de feu grégeois. Ce que la légende disait de ses habitudes était plus ridicule encore et la seule chose sur laquelle les histoires semblaient s’accorder était le nom de l’animal : Mélusine.

Les rochelais étaient fermement convaincus que la bête était un être magique, prétendaient qu’elle pouvait à volonté se déguiser en femme. Elle aurait construit la cité de ses mains et se nourrirait de chair humaine.

Près de moi, Véra grogna dans son sommeil, m’arrachant à ma rêverie. Je laissais ma main vagabonder sur ses formes rondes et elle vint se blottir contre moi dans son demi sommeil. J’entrepris de la réveiller tout à fait. De longues minutes plus tard, je m’habillais après de rapides ablutions et émergeait de la tente qui m’était réservée dans le campement de la rive nord. Le soldat de garde évita soigneusement mon regard mais je savais que les libertés que je prenais avec mes voeux le mettait mal à l’aise.

Je m’étais absenté quelques jours pour inspecter les ouvrages du blocus installés plus à l’intérieur des terres. Le climat insalubre des marais au sud de la ville m’inquiétait et j’avais envoyé un coursier à Bordeaux afin de réquisitionner une dizaine de médecins auprès de la faculté. Ici au nord, l’air marin était pur de tous miasmes et avait déjà chassé les brumes matinales. Je m’avançais vers la baie. En mon absence, les travaux avaient considérablement avancé. L’ingénieur en charge des travaux de ce côté de la baie s’avança, les bras chargés de rapports. La journée s’annonçait longue.

C’est alors que je la vis pour la première fois et la vision me coupa le souffle. Longue, serpentine, chatoyante au pâle soleil d’hiver, Elle planait sans effort, ses ailes immenses laissant paraître le ciel par transparence. Autour de moi, des murmures de respect mêlés d’effroi se répandaient comme une traînée de poudre. Je parvins à attirer l’attention d’un capitaine voisin et lui donnai des consignes à mi-voix. La mine sombre, il opina et se mit à lancer des ordres d’une voix sonore qui porta dans tout le camp. Autour de nous, les soldats s’ébrouèrent, le charme rompu et avec un dernier regard émerveillé vers le ciel, reprirent leurs corvées interrompues. Lorsque je revins vers ma tente, Véra avait disparu.

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