Chimère

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Le vent a acquis un rythme, presque une énergie et une vie propre. Luttant dans le blizzard, la Louve ouvre la marche, oreilles et museau fixés vers l’objectif. Derrière elle la Vouivre s’épuise, son feu-dragon impuissant contre le froid mordant, ses ailes une gêne dans le vent violent. L’Enfant-de-la-mer, louveteau à la fourrure en lames de métal suit, tête pendante et laisse des traces sanglantes sur la glace.

Mûs par un instinct têtu, ils avancent, cherchant ce qui donne vie à ce maléfice. Y a-t-il quelque part un coq en colère dont le battement d’ailes déplace les nuages ? Un magicien jaloux soufflant sur la maison des trois petits cochons ? Une falaise au bord du monde, Extrême Amont ?

Ils marchent, parcourent la moitié d’un monde, puis l’autre. Ils marchent encore et le vent souffle toujours. L’Enfant-de-la-mer a grandit, sa fourrure de métal-rasoir devenue armure d’argent, avec à son côté, la langue acérée de l’épée de vérité. Le vent les enveloppe, tourbillonne et accumule les tempêtes sur [itg-tooltip tooltip-content= »<p>Non, ce n’est pas une faute d’orthographe. Oui, ils sont trois et oui, il n’y a pourtant qu’une tête. Le narrateur n’est pas biologiste mais il a obtenu son certificat en narrativium.</p> »]leur tête[/itg-tooltip].

Alors qu’ils sont à bout de force, les voilà devant une bête monstrueuse. Gueule de loup, crocs acérés, son souffle charrie des lames de glace. Campée sur un torse d’homme et des jambes gainées d’acier, elle brandit un glaive jetant des étincelles bleutées. Dans son dos, une paire d’ailes cuirassées fait l’ouragan qui les meurtri. Devant la terrible vision, Louve découvre ses crocs, l’Enfant-de-la-mer brandit l’épée et la Vouivre rassemble ses forces pour un assaut désespéré. Mais la bête menaçante leur semble familière et dans la main du guerrier, l’épée de vérité refuse de bouger. La glace devant eux forme un miroir parfait. La Louve s’apaise et la bête ouvre sa gueule grand pour bailler. Le guerrier range l’épée et la bête s’assied. La Vouivre replie ses ailes et soudain la bête disparaît. Louve-Vouivre-Guerrier se love dans un creux abrité, yeux de braise fermés. Tas de fourrure mêlée, avec dessous, rien d’autre qu’une femme endormie. Elle émerge lentement de l’océan agité par Morphée. De son filet s’échappent des rêves scintillants : elle passera la journée à chercher la Muse qui la fuit.

Pour une fois ce n’est pas l’art qui m’a inspiré le texte mais plutôt le texte qui appelait cette illustration. Non non, ç’a été écrit devant une énième statue de jeune fille censée représenter la moisson ou que sais-je, au Louvre. Courser la Muse m’a juste emmenée très très loin. Encore.

Elle vient puis va à son gré, la Muse. Je l’apprivoise petit à petit, je sais ce qui lui plaît. Elle aime la compagnie avant tout, la solitude semble lui peser. Elle aime les offrandes aussi, déesse exigeante qui réclame les mets les plus raffinés. Le Louvre est son temple préféré, encore qu’elle ne dédaigne pas pointer son museau de chatte curieuse dans les lieux les plus incongrus. Peut-être est-elle là, toujours, à s’égosiller dans mes oreilles sourdes. Il est vrai que sa voix fluette, ténue, est difficile à ouïr dans le vacarme constant de mes pensées turbulentes.

Faire entendre cette petite voix, ça n’est parfois que faire taire tout le reste, comme tenter de distinguer le tintement cristallin du triangle quand les cordes et les cuivres se disputent au premier rang. C’est la voix de la fillette qui chantonne en dansant, dans la cour, tout près de l’avenue, dans le bruit des klaxons et des ronflements de moteur.

C’est le goût d’une larme qui tombe dans un verre de vin.

Aujourd’hui, Muse me fuit.

Ecrit au Louvre en compagnie de ♥Saba le 12 X 2016, jour de panne

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