Figure-De-Proue

Au commencement fut la vitesse, la pure jouissance du vent sous mes ailes. 

Je me réaccoutumais sans heurts à chevaucher la bécane puissante, ressentant chaque accélération dans mes os, resserrant instinctivement mes cuisses autour du conducteur, cherchant encore la meilleure prise pour mes bras.

J’ancrais mes serres puissantes sur ma monture, une étreinte solide et inébranlable. Ma queue mélusine, serpentine, se lovait à sa place habituelle, kundalini secrète au sein du ventre de Figure-De-Proue. Je tendis mon cou vers le zénith et glapis du pur plaisir de la course. 

L’intense joie animale de la vitesse m’envahit. Je serrais mes bras autour de l’homme devant moi, me laissant emporter sur la rivière de bitume, dans l’éternel instant sensuel et le bloc chaleureux de confiance. Tout mon corps tendu pour la course, je respirais les odeurs chaudes des champs. Loin à gauche, un renard à l’arrêt attira mon œil et resta sur place, distancé par la symphonie vrombissante du moteur. Je sentais mon ventre s’émouvoir au rythme de l’accélérateur et retenais à peine un cri de plaisir animal à mes lèvres silencieuses.

J’ouvris grand mes ailes et le vent me souleva d’un coup. Je planais un moment au dessus de Figure-De-Proue. Paresseuse au soleil, j’arrachais négligemment quelques feuilles à la canopée. Je sentis la surprise de Figure-De-Proue ‘Tu es végétarienne ?’ Amusée, je m’évadais dans la forêt.

Je la sentais s’ébattre dans la mer végétale, jouer avec le vent et se gorger de soleil. J’aspirais avec délices les senteurs du sous-bois humide, mousse et champignons, reçus la brève ondée de bon gré et découvris enfin le cœur médiéval du village. Comme toujours la vue de maisons pluricentenaires envoya tournoyer dans mon cerveau des images de ceux qui y avaient vécu, aimé et y étaient morts. La rivière, impermanence éternelle, étalait sa langueur en bras et canaux, bassins et chutes, déserts en cette fin d’été parsemée de pluie. Je cherchais la vouivre mais elle dissimulais sa présence, magicienne rouée. Ce n’est que lorsque je fus seule qu’elle se révéla enfin, béate créature, triple fantasque, émergeant de l’onde profonde sans y laisser une ride. Son corps mordoré se fondait dans l’arrière plan de vase et d’algues, les reflets de son feu intérieur dans l’éclat du couchant, ses ailes réduites à de fines nageoires, seul la trahissait son œil bleu glacier. J’admirais l’abandon de sa nature sauvage, la magie qui sourdait de sa seule présence, observant ses mouvements dont la fluidité se jouait et de l’eau et du vent.

J’étais émerveillée de sa beauté sauvage, puissante. C’était la première fois que je pouvais l’admirer vraiment et je la trouvais magnifique. Je détournais un instant les yeux du spectacle fabuleux et elle en profita pour s’éclipser. Dans ma tête toujours une interrogation : ‘Quel est ton nom ?’

Je suis toi, trois fois toi, eau, air, feu, béate bête triple, Béatrice…

M’éloignant du village, je vis niché en creux, la pointe d’un vieux clocher. Autour s’enroulait, queue de serpent, et au dessus battait, ailes au vent, la fière béate trine, éclatante mélusine.


Écrit à Moret-sur-Loing… avec pour muse, une Ducati 800cc

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.